la forêt sans nom
furtive gallery
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De : Étienne Rey
Objet : extrait vidéo
Date : 12 septembre 2008 17:49:40 HAEC
À : Jérémie Grandsenne
Voici un extrait de la vidéo qui dure 16 minutes.
De : Jérémie Grandsenne
Objet : Rép : extrait vidéo
Date : 12 septembre 2008 22:46:16 HAEC
À : Étienne Rey
Mon avis : c'est un acte de résistance.
Tu devrais la montrer à Jeff Wall.
1
Il y a quelque chose du rapport au spectateur ;
c'est ce qui m'a frappé en premier quand j'ai
commencé à me formuler quelque chose en la
regardant.
Quelque chose comme : tu exprimes quelque chose,
tu batailles durement pour exprimer quelque chose
qui ne s'exprimera jamais : plutôt, qui s'exprime,
mais qui ne sera jamais audible
Quelque chose comme un acte de communication
qui ne se défait jamais de l'impossibilité à se faire
entendre, parce qu'elle est enfermée dans un langage
inaudible (fait de gestes de mâchoires, de quelques
bruits…), alors que tout est effectivement maintenu
en permanence comme adresse au spectateur, par le
regard : par le fait que tu regardes tout le temps la
caméra, et qu'on est dans un rapport extrêmement
personnel avec toi.
Quelque chose comme : on te ressent violemment
t'adresser à nous, et l'écran est comme une limite
où ton langage se brise, et nous n'en recevons
que la forme illisible.
L'écran n'est pas le problème, mais simplement :
tu envoies, tu envoies, tu envoies, et on reçoit
juste une impression ; un peu comme quand un
animal crie, miaule, grogne, se lamente etc, mais
qu'on ne sait pas pourquoi ; ou un bébé qui crie :
ça dit, mais on n'a pas de clefs pour lire quoi.
"Tu", mais pas Étienne : tu t'es bien impersonnalisé,
le costume, le fond neutre te met dans une sorte
de neutralité qui serait celle censée laisser émerger
la communication : donc elle naît, la communication,
mais ne se résout jamais dans une "entente",
elle reste comme tension permanente vers la
communication.
2
Résistance.
Ça dit quelque chose comme : je m'aliène moi-même,
geste absurde et répétitif et de souffrance et où je perds
mon sens, et dans une perte de sens encore pire
que l'aliénation dans laquelle m'enferme le monde
(encore plus bête, car totalement improductive :
c'est important, ça, qu'elle soit improductive) ;
mais c'est moi qui gagne, car cette aliénation-là,
je l'ai choisie, et parce qu'elle est un jeu.
Je l'ai choisie, donc tout ce qui s'ensuit est sous le
coup de ma décision.
Et elle est un jeu, donc je ne m'y perds jamais
réellement, contrairement à l'aliénation réelle.
Et donc, plus la vidéo dure, plus la résistance s'affirme,
par l'affirmation de ce choix, c'est-à-dire : je
m'échappe de la souffrance-pression-aliénation du
monde, je me retire dans une solitude plus radicale,
mais décidée, pour une souffrance qui, par le choix
que j'en fais alors même que je n'en tire aucun
bonheur et seulement de la contrainte, réaffirme
à chaque seconde ma liberté.
En un mot, c'est quinze minutes de liberté.
Quinze minutes où un individu dit : je suis libre ;
non pas vraiment "je fais ce que je veux", mais :
je fais ce que je choisis ; et si le dernier lieu où
je peux incarner et agir ma liberté est un lieu
de souffrance ou de bêtise, j'irai en ce lieu
réattraper ma liberté.
Plus directement, il y a un rapport avec les travaux
qui demandent une activité physique difficile, ou
répétitive, le travail à la chaîne, porter des trucs qui te
cassent le dos, qui t'abîment le corps, etc : mais là,
tu es ton propre patron. Et si tu n'y gagnes rien, ni
argent ni épanouissement, tu y gagnes du moins ta
propre réautonomisation en tant que travailleur, et
plus largement en tant que corps.